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06/07/2023

James Sacré, Une fin d'après-midi continuée

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Comme une couture au temps

 

Parfois comme si, parce qu’on sait plus

Quoi dire ou comment faire, comme si

N’étaient plus possibles

Que des arrangements de mots, quasi-rien

Cousu au temps qui passe au bruit

De la tourterelle qu’on entend, à l’été.

On n’a que le mot poème

Pour penser à ce qui s’écrit :

Sans qu’on sache si pour finir

Quelque chose a pris.

 

James Sacré, Une fin d’après-midi continuée,

Tarabuste, 2023, p. 293.

05/07/2023

James Sacré, Une fin d'après-midi continuée

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Le mot rien dans le mot vivant

 

Quand je serai presque plus rien (déjà

Me voilà pas grand chose),

Quand le corps ni l’esprit n’auront plus désir

De porter (de brandir) en de grands gestes insensés,

Je connaîtrai quelque chose de plus intensément nu :

Le rien de l’amitié. Drôle de pensée.

 

 

Évidemment le mot rien dès qu’on le dit

Se heurte à tout ce qui reste vivant,

Ce par quoi justement je touche (avec et sans précaution)

À ta parole à ta main, autant

Qu’à ton silence ou ton retrait.

Le mot rien dans le mot vivant ?

 

James Sacré, Une fin d’après-midi continuée,

Tarabuste, 2023, p. 237.

30/06/2023

James Sacré, Une fin d'après-midi continuée

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Nom prénom comme (n’importe qui, personne)

 

Des visages sont aussi près de mon peu d’existence

Que les feuillages sans forme de la nuit ;

Leur sourire où je disparais m’emporte

En un mouvement de noir et d’étoiles.

Dans ces poèmes qui sont pour quelqu’un avec un nom précis je voudrais

Que ce soit les mêmes feuillages nocturnes

Dans le volume respirant de ce nom, le parfum de quelques autres

Je veux m’en aller dans la nuit.

 

James Sacré, Une fin d’après-midi continuée, trois livres « marocains », postface Serge Martin, Tarabuste, 2023, p. 69.

29/06/2023

James Sacré, Une fin d'après-midi continuée

                            James Sacré, Une fin d'après-midi continuée, jardin, cerisier,rouge

          Tu n’es jamais venu en Vendée

 

Dans une matinée tranquille de ce pays vendéen

Mon père me promène parmi les arbres qu’il a greffés

Surtout des cerisiers, avec déjà des fruits qui ont de la couleur

On peut penser à des miniatures amoureuses dans des livres de langue arabe

La fraîcheur d’un mélange d’herbe et de terre avive

Le rouge des castilles, et la lumière,

Est-ce que passer par les mots pourra transporter

Dans l’eau courante et la poussière d’un été marocain

La finesse et les fruits de ce jardin ? Sans doute ;

On pourrait lire de poème dans une maison qui a des couleurs de ciel et de cerise écrasée sur ses murs chaulés,

On vient de rafraîchir le sol avec de l’eau jetée, les sentiments

Sont beaucoup d’agréable silence, autant de patience et de politesse que dans un jardin.

 

James Sacré, Une fin d’après-midi continuée, trois livres « marocains » , postface Serge Martin, Tarabuste, 2023, p.23.

24/03/2023

James Sacré, De la matière autant que du sens

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          Mémoire

 

Ce qui reste dans la mémoire

N’est-il pas comme un support gravé

Qu’il faut remettre à l’endroit ?

Et pour y voir

On se demande souvent quoi.

James Sacré, De la matière autant que

du sens, Al Manar, 2023, p. 35.

07/05/2022

James Sacré, Brouettes : recension

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    Une brouette, « du rêve et du réel emmêlés »

 

On répète souvent qu’il n’y a pas de « thème » privilégié en poésie, ce qui dans les faits n’est pas souvent observable : aujourd’hui, en France, les livres de poèmes qui évoquent de près ou de loin le travail et ce qui s’y rapporte ne sont pas légion. Pas de nostalgie ici, faut-il le dire, d’un pseudo réalisme ; on pense à l’œuvre entière de Gustave Roud, si mal connue en France (les éditions fario viennent de rééditer Le repos des cavaliers, avec une postface de James Sacré), au travail formel de Jean-Loup Trassard autour des outils de l’agriculture avant qu’elle devienne industrielle*. James Sacré, lui aussi, a toujours été attentif aux gestes du travail, aux lieux, aux bâtiments, aux animaux et aux objets les plus ordinaires — les moins "poétiques", diraient certains ; il choisit ici d’écrire à propos des brouettes et de leurs usages.

 

La première brouette est près de Chichaoua, nom d’une ville du Maroc qui ne peut apparaître qu’exotique au lecteur. On associe habituellement la brouette à un hangar ou à une remise, inexistants dans le village marocain très pauvre, elle est rangée dans une tente trouée et l’on vend à côté des tapis en mauvais état. La photographie de la brouette (qui a sans doute ensuite changé de place) aura servi à transporter des mots pour évoquer un moment fugitif qui ne peut être vraiment restitué au lecteur ; restent la « vérité d’un moment » qui, ainsi, échappe un peu, provisoirement, à l’oubli, « Un rêve de brouette. Peut-être rien, / Comme un mirage au loin ». Que reste-t-il de ce que l’on regarde, des images pour se souvenir ? des mots, encore et toujours, qui ne peuvent que très provisoirement faire oublier « l’informe bruit du temps » — ce qu’écrivait James Sacré dans Une main seconde (2018) — à quoi répond ici « Le bruit de la mer / Le fond du temps ».

Chaque brouette est d’abord un outil de travail, utilisé pour le transport de pierres, alors « banale brouette en métal », « en métal cabossé », vide ou au « fond terreux », qui attend d’être emplie, « longue caisse » ou « grosse caisse profonde » où s’entassent des pastèques, cette autre pleine de linge et, ailleurs, avec ses carottes pour le marché ; chacune a ses caractéristiques propres, les couleurs varient — noir, sombre, gris, rouge, bleu, mancherons blancs —, plus ou moins en accord avec le contenu, ainsi le noir de la brouette et le vert des pastèques. Celle-ci, « une vraie brouette de travail », elle aussi en métal, est poussée par un enfant « comme s’il apprenait / A pousser la vie ». Une autre, par son nom en italien (carriola) rappelle les carrioles attelées, le temps des chevaux, tout un passé disparu, par exemple celui de la brouette en bois dans laquelle le narrateur rassemblait la chicorée pour les lapins de la ferme.

Qu’elle soit à la campagne ou quelquefois sur un chantier en ville, la brouette est devenue un outil archaïque, surtout attachée dans nos contrées aux travaux du jardinier, trace comme tout un outillage d’une « histoire paysanne qui n’en finit pas / De disparaître dans les villes » ; ce n’est pas le cas dans les Pouilles, au Maroc, dans des villages en Espagne, dans un pueblo indien, etc. Si le narrateur photographie des brouettes, c’est parce qu’il refuse la rupture avec hier, parce que la vie se vit dans la continuité : on apprécie l’ironie quand il parodie — en octosyllabes — les paroles de la reine sorcière devant son miroir :

                Ecran, mon bel écran d’oubli
                Dis-moi que je pourrai encore
                Reprendre, et tout modestement,
                Les bras d’une vraie brouette.

 

Question récurrente dans les livres de James Sacré, que peut-on introduire dans un poème ? Des mots, dont l’association aboutit à un rythme, au plaisir. Sans doute, et qu’en est-il en plus pour le lecteur, puisque les mots ont un sens ? Que voit-il du « vert des pastèques » ? « Comment l’entendre en y ajoutant du sens / Parmi tant de couleurs qui chantent / Sur les façades (...) » ? Plus avant, à propos de Chichaoua, James Sacré demandait « Et comment que t’as chaud, lecteur / Dans quel paysage ? ». Autrement dit, les courts poèmes-récits autour de diverses brouettes racontent-ils quelque chose qui puisse être partagé ? Ce qui a été vu, observé, ressenti, les manières de vivre et d’être dans divers pays, tout cela voulu présent dans le poème, qu’en reste-t-il à la lecture ? Peut-être le fait de « Retrouver le même dans l’autre », ce qui n’est jamais une évidence.

La brouette n’est pas inerte, ou plutôt l’imagination lui donne un semblant de vie. Sous la tente, impossible de se défaire de « l’impression qu’on a / De sa liberté » ; une autre attend d’être utilisée, elle « patiente » ; celle-ci est laissée une fois vidée : « on va la rouler plus loin », « pour une autre tâche ou pas ». Elle est comme abandonnée comme tout outil qui a rempli sa fonction, ce qui, pour James Sacré, renvoie « A sa propre solitude que peut-être / Ecrire voulait oublier ».

* Parmi d’autres titres de Jean-Loup Trassard, aux éditions le temps qu’il fait, Inventaire des outils à mains dans une ferme (1981), Outils de grande utilité (1995), Manivelles et valets (2021)

 James Saceé, Brouettes, dessins Yvon Vey, Obsidiane 2022, 54 p., 13 € ; Cette ercension a été publiée par Sitaudis le 6 avril 2022.

 

28/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

 

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       Au bord du mot désert

 

Le désert du cœur : lr mot solitude

Le désert des mots : le silence.

 

   Au loin la ligne des dunes de Merzouga. Un peu de désert avant d’y arriver : longue étendue de sable ou croûte de matière noire jusqu’à la pente d’une remontée en couleur claire quelques dromadaires s’y désassemblent formes fines de plus en plus minces bientôt leur disparition.

   Le vrai désert on le devine après la bourgade poussée désordre autour d’une large rue centrale, on reste

   Au bord du mot désert.

 

   Sur la route qui va jusqu’à l’improbable nom d’un autre village

   Deux enfants donnent à caresser aux touristes la mine en sourire effaré de plusieurs jeunes fennecs. Les enfants t’expliquent

   La façon de les capturer, mais qu’auras-tu compris ?

 

   Dans les bras qui tiennent les bêtes, brassée de solitude.

   Désert de solitude : le silence.

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, p. 75.

27/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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                        Un enfant lisait

 

Le p’tit Poucet ma tête perdue, cailloux cailloux c’est que des mots

(Tante Marie qui raconte et le Chat Botté parti.)

Mais la Moitié de Poulet me tient par la jambe.

Par le cœur et la jambe, une

Moitié d’Poulet comme un

Qu’allait gagner gagner...

J’ai pas retenu l’histoire (tante Marie s’est tue)

La drôle d’histoire, j’en reviens comme

Un p’tit Poucet qui s’égare

Parmi les mots dérisoires.

 

 

Avec son nom comme un têt-à-poules défait juste à côté du fournil et de la petite écurie, un seul toit de tuiles rouges touche à la grande herbe dans le pré derrière sans doute  que la Moitié d’Poulet sortait de là, avec un nom d’écorché pour s’en aller raconter quoi ?

La vie ressemble à cet endroit plein de chiures d’oiseaux sous le perchoir en bois fragiles, les œufs chauds qu’on allait ramasser dans les niches du mur, la vie ressemble à tout. Moitié de Poulet presque oubliée. Vieux mythe épuisé qui t’abandonne.

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, p. 109-110.

26/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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Les vaches qu’on allait garder

 

Les animaux qui sont dans les poèmes

Si un peu

C’est pas comme au zoo,

Comme au cirque, ou pareil

Qu’à la ferme où je les ai connus

On fait semblant de les aimer

On les aime, on les enferme.

 

Tout ce qu’ils m’ont donné :

Rêveries, mots, savoir et désir.

 

Le fond sale et somptueux du cœur

Et d’autres organes,

Bougent ton poème, tes pensées mal pensées

 

Animaux parlés mal vivants

Dans l’écriture qui les enferme

Quelle amitié leur est donnée ?

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste,

2022, p. 52.

Photo T. H.

16/07/2021

James Sacré, Broussaille de bleus

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           Fontaine de mémoire

 

Une fontaine fait son bruit de fontaine

Donne son eau claire

Au silence des buissons, on ne sait plus

Si le jour est grand bleu ou larges avancées de nuées

Tout s’efface ou brille un peu

Parmi des débris de mémoire.

 

Des pays traversés s’emmêlent

En quelques mots familiers qui furent

Ceux donnés par une enfance oubliée.

 

Quels paysages reviendraient dans le courant d’une écriture ?

Un poème fait son bruit de poème, son bruit de poème.

 

James Sacré, Broussaille de bleus, dessins de Jacques Barral, Le Réalgar, 2021, p. 43.

11/05/2021

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers

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La fleur de la morelle

 

La fleur de la morelle (douce amère ou noire)

Donne des baies aux buissons ; l’automne est poison

Nourri de mauvais rouge au fond de la mémoire.

 

Mais plaisir ! (trop naïf) ah ! j’entends la saison

Qui revient, ses fruits mous, pourriture mais gloire

Et bonheur ! (rouilles, soleil) au bord des buissons.

 

Alors la saison flambe au faîte des grands ormes ;

Fourche, paille jetée : c’est le goret qu’on tue.

 

Il brûle dans l’automne et l’enfance perdus.

Je m’en souviens du goût des nèfles et des cormes.

 

Il brûle dans l’automne et l’enfance est perdue (l’enfance éperdue).

 

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 15.

10/05/2021

James Sacré, Si peu de terre tout

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Portrait du paysan à travers les arbres

 

Paysan comme un arbre en colère

mouvements grands, tant de cris pourquoi ?

on sait mal peu à peu le temps l’apaise

demain la  campagne est belle avec les foins

coupés les outils qu’on entretient

ça donne du tonus au paysage l’éloignement de ces cris

dans le profond bleu calme

 

James sacré, Si peu de terre tout, le dé bleu, 2000, p. 65.

09/05/2021

James Sacré, Figures de silences

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Écrire : on entend quoi ?

 

                  3

 

Écrire dans le silence d’un papier

Sur lequel on peut lire une adresse ;

Un n om tracé par la main de quelqu’un

Mais ce qu’on a mis dans ce nom ?

 

Mon poème comme une lettre pour dire

Entre un silence et mon silence

 

Toucher une joue, tenir

Une épaule ou plus bas

Le bougé d’un désir

Si ça serait plus intense ?

 

On pressent le même écart

Entre deux silences ?

 

                  *

 

Quelqu’un s’en va, tu ne sais pas

Si même il s’en va ?

Penser ou ne pas pouvoir penser

Le retient mal on n’attrape

Que du silence

 

Quelqu’un peut-être reprend

Tout ce qu’il a donné

Mais dans le genre de ne plus parler

Quelque chose encore

Est donné.

 

 

James Sacré, Figures de silences, Tarabuste,

2018, p. 121-122.

08/05/2021

James Sacré, Cœur élégie rouge

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Le puits

 

   On raconte qu’il y a au fond des trésors : de vieux seaux rouillés, des couteaux de poche qu’on avait possédés longtemps, des pierres rondes.

   Il est tranquille. Il a la patience des pierres. Il subit sans réticence l’arsenal du treuil, des seaux et des chaînes, les bousculades véhémentes des bœufs autour et veille l’œil curieux d’un enfant.

   Il irrigue les étoiles.

 

James Sacré, Cœur élégie rouge, André Dimanche, 2001, p. 57.

07/05/2021

James Sacré, Une fin d'après-midi à Marrakech

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C’est pas fait pour penser un poème, pas vraiment.

M’installer pour écrire dans l’air et les feuillages

D’un boulevard parisien en même temps que dans mon sentiment

Pour quelqu’un qui n’arrive pas, que j’attends peut-être

À la place de quelqu’un d’autre jamais venu

N’aboutit

(À la faveur de règles tellement subtiles qu’à la fin

C’est comme si on écrivait sans règles du tout)

Qu’à mettre ensemble des mots dans le plus grand désordre.

Si on se rapproche ainsi de l’évident feuillage du monde tel que par  exemple

Il peut s’obscurcir et briller dans un visage aimé.
C’est difficile d’en être sûr. Est-ce qu’on a pensé ?

 

James Sacré, Une fin d’après-midi à Marrakech, Ryôan-ji, 1988, p. 107.